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L’avènement du premier empereur chrétien, Constantin — fondateur de Constantinople dans la première moitié du IVe siècle — marque une rupture dans l’histoire, consommée dans les années 390 avec la partition de l’Empire en deux : Orient et Occident. Si les intellectuels chrétiens s’absorbent dans la définition du dogme et la chasse aux hérésies, quelques rares mathématicien(ne)s — païen(ne)s pour la plupart — continuent de cultiver leurs spécialités. Les contributions mathématiques originales se font rares, mais le mérite de ses érudits est d’avoir assuré la sauvegarde (d’une partie) du patrimoine antique et permis sa transmission ultérieure aux mondes médiévaux byzantins, arabes puis latins …. Rééditant et annotant les écrits classiques, infatigables commentateurs, ils ont cherché à les rendre accessible à un public d’étudiants parfois mal préparés. Ils ont posé les premières pierres de la démarche scholastique. Dans ce monde troublé, quelques contributions — celle de Proclus (410-485), en ce qui concerne la philosophie de la géométrie, ou celle des mathématiciens-architectes de l’époque de Justinien (2e quart du VIe s.) — méritent notre respect.
Question du jeudi #25 : Vous êtes au centre d'une piscine circulaire, au bord de laquelle se trouve un lion. Est-il possible de sortir de la piscine en toute sécurité (c'est-à-dire d'arriver à un point du bord de la piscine où ne se trouve pas le lion), sachant que le lion se déplace quatre fois plus vite que vous ?
Après la floraison des IIIe-IIe siècles, les institutions savantes alexandrines, confrontées aux incertitudes politiques et aux querelles dynastiques, connaissent une éclipse. Les recherches mathématiques se poursuivent sans doute ailleurs, notamment à Rhodes, mais, semble-t-il grâce à l’intervention puis la protection des Romains, l’ancienne capitale des Ptolémées va connaître un nouvel âge d’or mathématique. Trois grandes figures dominent les deux premiers siècles de notre ère : Ménéalos, Ptolémée et Héron. Leurs travaux reprennent, corrigent et développent ceux de leurs prédécesseurs de la première période alexandrine, notamment dans les domaines où la géométrie trouve ses applications les plus efficientes : astronomie, optique, mécanique.
Les Coniques d’Apollonius de Perge constituent l’un des sommets de la géométrie grecque ancienne. Rédigé, après un premier essai, en huit Livres, leur destinée fut cependant moins heureuse que celle des Éléments d’Euclide. Seuls les quatre premiers Livres — selon l’auteur ils exposent les “éléments” de la théorie — ont été conservés en grec, dans la réédition qu’en procura, à la charnière des Ve et VIe siècles de notre ère, Eutocius d’Ascalon. Les Livres V-VII furent préservés grâce à la traduction arabe qu’en fit Thâbit ibn Qurra mais ils restèrent inaccessibles et excitèrent l’imagination des mathématiciens d’Occident pendant plusieurs siècles.
Dès l’Antiquité, la rigueur et la généralité du traitement apollinien avait été reconnues et avait fait disparaître les écrits antérieurs. Seules quelques bribes d’information, quelques conjectures hasardeuses concernant la découverte des coniques nous ont été transmises par Pappus et Eutocius.
Archimède de Syracuse est incontestablement le mathématicien grec le plus célèbre et le plus admiré. Il est le seul des géomètres non philosophes à qui l’on ait consacré, dès l’Antiquité, une biographie. Mais ce sont ses prouesses techniques qui furent célébrées, plutôt que ses écrits géométriques. Plusieurs d’entre eux résolvent des problèmes non triviaux de quadrature (segment de parabole, cercle et spirale) et de cubature (sphère et cylindre, sphéroïdes et conoïdes). Ils complètent les travaux d’Eudoxe de Cnide qu’Archimède s’était choisi comme précurseur. Le Syracusain va plus loin lorsqu’il combine mécanique (théorie des centres de gravité) et géométrie mais sa célèbre Méthode, peu diffusée dans l’Antiquité, faillit disparaître.
La grandeur (ou taille) n’est qu’une des caractéristiques de la figure, que la mesure s’efforce de déterminer. L’autre est la forme avec ses problèmes de similitude et de construction de figures considérées comme “régulières”. Celles des cinq solides inscriptibles dans une sphère qui clôturent les Éléments en est l’exemple le plus célèbre.
Le chapitre VI leur est consacré. Toute proportion gardée, les sources anciennes sur ce thème ne sont pas rares, même si nous ne connaissons pas vraiment les circonstances détaillées qui sont à l’origine de cette étude associée à beaucoup des noms célèbres de la géométrie et de la philosophie grecques : Platon, Théétète, Euclide, Pythagore, Archimède, Zénodore, Apollonius, Hypsiclès, Ptolémée Pappus … C’est en vue de la construction et de la comparaison de ces polyèdres qu’Euclide introduit sa monumentale classification des irrationnels et la non moins célèbre « section en extrême et moyenne raison » (dit “nombre d’or”).
La mesure des figures ou la détermination de points inaccessibles à la mesure directe étaient souvent considérées par les Anciens eux-mêmes comme l’origine de la géométrie. Tout naturellement les noms des (hypothétiques) pères fondateurs, Thalès et Pythagore, leur étaient associés. Les Éléments d’Euclide représentent déjà une élaboration sophistiquée des théorèmes susceptibles de justifier de telles procédures. Dans cette optique, le chapitre V propose une lecture du premier Livre du traité euclidien: établir les fondements de la mesure des figures rectilignes. L’analyse régressive du théorème de l’hypoténuse (dit de Pythagore, I. 47-48 chez Euclide) fournit une justification de l’insertion des principaux constituants de l’axiomatique euclidienne.
Le chapitre IV présente le premier texte grec complet conservé consacré à la géométrie, les Éléments d’Euclide. Comme les érudits de l’Antiquité eux-mêmes , nous ne savons à peu près rien de la vie de l’auteur : contraste saisissant avec le succès, l’influence, mais aussi les critiques, que l’ouvrage connaîtra durant près de deux millénaires. Le projet et le style impressionnent ; le plan du traité fut perçu comme singulier dès le Moyen-Âge.
Les IIIe-IIe siècles avant notre ère voient la fondation puis le développement des institutions savantes d’Alexandrie, ville fondée par le conquérant macédonien «aux portes de l’Égypte». La nouvelle capitale économique et intellectuelle du Monde Est méditerranéen apparaît aussi comme le centre d’une communauté de mathématiciens qu’un nouveau type de texte nous permet d’entrevoir : les préfaces que les géomètres rédigent quand ils décident de faire circuler leurs écrits.
Aucun texte géométrique antérieur aux Éléments d’Euclide (IIIe s. avant notre ère) ne nous est parvenu. Pour les mathématiques des époques archaïque et classique (VIe-IVe s.), nous devons nous contenter de témoignages et de quelques fragments. Le dossier le moins mal documenté concerne Hippocrate de Chio (deuxième moitié du Ve s.). Son activité, contemporaine de celle de son célébrissime homonyme, le médecin Hippocrate (de Cos), correspond à l’âge d’or de la Grèce des cités, à la mise en place des institutions démocratiques, au développement de nouveaux moyens de communication et de « publication » (au sens premier de « rendre public »), notamment l’apparition d’une littérature technique en prose qui coïncide avec des formes rudimentaires de « spécialisation » : histoire, philosophie, mathématiques … Dans la cité d’Athènes — la moins mal connue —, dès le début du IVe s. avant notre ère, un débat divise les spécialistes de l’éducation sur la place qu’il faut accorder à la géométrie.